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l’homme et la terre. — barbares

eurent lieu, il y a plus de vingt siècles, mais il est impossible d’en fixer la date précise, les migrations de peuplades accompagnées de troupeaux ayant souvent duré pendant plusieurs décades successives. Devenus les maîtres d’un peuple civilisé, habile à la culture du sol, aux diverses industries urbaines, les Yue-tchi se civilisèrent eux-mêmes à demi et se trouvèrent bientôt en relations de commerce avec les Occidentaux par l’intermédiaire des Arsacides du plateau d’Iranie. A l’époque où l’empire romain prenait sa grande extension dans le monde occidental, les Yue-tchi, maîtres de tout le versant du Tian-chan et des Pamir dans le Turkestan actuel, possédaient aussi les hautes terres de l’Afghanistan et les chemins de l’Inde ; leurs monnaies nous les montrent influencés successivement par des civilisations diverses, à mesure qu’ils s’éloignent de leur point de départ dans le Nan-chan : ils sont hellénisés dans la Bactriane, puis sivaïsés dans le pays des Cinq rivières, et finalement ils sont devenus bouddhistes sous le règne de Kanisfa, contemporain de Vespasien, le prince mongol ayant provoqué, par sa conversion, un déplacement d’influences analogue à celui qu’amena Clovis en se faisant chrétien. Les Yue-tchi, qui s’intitulent Ku-chan sur leurs monnaies, d’après la province de Koei-tchang ou Bactriane qui fut le centre de leur empire, sont, avec les Ça-ka établis surtout dans le Kachmir, au nombre de ces envahisseurs turcs que l’on désigne d’ordinaire par l’appellation de « Scythes » et qui, nous l’avons dit, mirent fin aux relations du monde hellène avec l’Inde.

On ne voit point les traces de grandes migrations turques dans les régions méridionales de la Kachgarie, à la base septentrionale des monts Kuen-lun : les pâturages y étaient trop rares, la terre trop aride pour que la tribu pût s’y risquer avec ses troupeaux ; le voyageur rapide ayant pris ses précautions en vue d’une prompte expédition pouvait seul s’aventurer en cette dangereuse contrée où les sables cheminent sur des oasis englouties. Les grandes voies naturelles passent dans les « paradis » du Tian-chan, dans les « youldouz » (Iulduz) ou « étoiles », non moins belles aux yeux des nomades que les astres du ciel[1]. Plus au nord, les grandes plaines de la Dsungarie où naît l’Irtich et, par delà l’Altaï, les hautes terres mongoliennes dans

  1. De Saint-Yves, Revue scientifique, 19 fév. 1900.