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l’homme et la terre. — barbares

ensemble de faits géographiques et sociologiques s’étendant sur une plus longue période pour être en droit de rattacher l’exode des Huns à quelque phénomène terrestre. Quelles qu’aient été les causes et les péripéties diverses de ces amples mouvements ethniques, il n’en reste pas moins ce fait constant que, suivant les impulsions reçues, les peuples durent se déplacer dans un sens ou dans un autre, pour se heurter à d’autres nations dans leurs migrations forcées, et déterminer ainsi de proche en proche et d’un bout du monde à l’autre une transformation complète dans l’équilibre général.

Par la nature même des choses, les communautés humaines les plus mobiles, les moins attachées à la terre, devaient être celles qui, dans ces grands tournoiements d’hommes, se déplaçaient le plus rapidement et parcouraient les plus vastes étendues : les populations nomades commençaient et pressaient le mouvement de migration, auquel les agriculteurs résidants finissaient malgré eux par prendre part. Ce fut donc la région des pâturages sans bornes, la « mer des Herbes » comprenant, du Pamir au Pacifique, les immenses contrées de la Kachgarie, de la Dsungarie, de la Mongolie et de la Mandchourie, qui devint naturellement le lieu d’équilibre instable duquel se propageaient les ondulations dans la masse des peuples. Là commençaient tous les grands exodes destructeurs.

Aussi les Occidentaux qui eurent à subir cet effroyable déluge de peuples conquérants s’imaginèrent-ils volontiers que ces barbares venus en multitudes du fond de l’Orient appartenaient à une race prolifique comme celle des sauterelles. Un chroniqueur ancien[1] dit que les contrées de l’Asie nord-orientale étaient une « officine d’hommes », un « laboratoire de peuples », tant il fut effrayé à la vue de ces masses dévastatrices qui se ruaient sur l’empire croulant. Mais à cette époque même, l’Europe, peuplée d’agriculteurs, avait sans aucun doute beaucoup plus d’habitants que les étendues du continent asiatique. Si l’on peut néanmoins s’imaginer que les steppes de l’Asie centrale étaient un « atelier de peuples » sans cesse débordant, c’est que les mouvements d’exode comprenaient d’un seul coup presque toute une grande communauté nationale, entraînée en un même courant comme l’eau d’un fleuve ou comme la neige d’une

  1. Jornandès (Jordanès), Histoire des Goths, chap. IV.