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l’homme et la terre. — barbares

D’après les indications fournies par le relief continental, le lieu de passage le plus important entre l’Asie et l’Europe, celui par lequel s’échangeaient les marchandises, les traditions et les cultes, fut certainement la gorge du Darial qui coupe vers son milieu la chaîne du Caucase, à l’orient du Kasbek. La géographie le montre d’avance et l’histoire l’atteste. Les Osses, Ossètes, dont une tribu s’appelle « Irons », c’est-à-dire Iraniens, occupaient les deux côtés de cette brèche des montagnes et furent les intermédiaires d’un grand trafic entre les habitants des plateaux asiatiques et ceux des espaces hyperboréens. Or, ces Osses, auxquels Chantre propose d’assimiler les Ases (parrains de la mer d’Asov ?), appartenant d’après d’Ohsson et autres à la confédération des Alains, ces Osses ressemblent singulièrement par les mœurs et les légendes aux anciens Scandinaves ; ils avaient même conception du monde, mêmes formes mythiques, et c’est à la fréquence du contact, du séjour et de la résidence en pays ami que l’on doit attribuer cette parenté des nations[1].

Sans doute la distance est considérable entre le Caucase et les bords de la mer Baltique, entre le Darial et Upsala ou Odense, mais dans cette très grande étendue il n’y a point d’obstacles naturels, et les populations avaient intérêt à favoriser le commerce pacifique. Des bandes de marchands allaient et venaient sur cette route et des historiens se demandent si Odin, c’est-à-dire le « Marcheur » d’après l’une des nombreuses étymologies de ce nom[2], n’aurait pas été le type de ces chefs de caravane[3]. Les marchandises qu’il s’agissait de transporter étaient des objets de grand prix, peu encombrants et pouvant en conséquence rapporter de gros bénéfices. Du midi, le Marcheur apportait l’or, l’argent, le cuivre ; du nord, l’étain, l’ambre, les fourrures. Mais il ne se bornait pas à transmettre les produits d’une contrée à une autre contrée, il se faisait aussi créateur de richesses en exploitant les prodigieux gisements de fer qui faisaient saillie au milieu des forêts scandinaves. Des armes d’acier remplacèrent les épées de bronze dont s’étaient servis les guerriers, et c’est là ce qui valut au caravanier et mineur Odin d’être élevé au rang des dieux.

  1. Gustave Geyer, Svea Riker Hafder, t. I, p. 40 ; Histoire de Suède, Upsala 1825.
  2. Anderson, Mythologie Scandinave, p. 50. Ce nom signifierait le « Furieux » d’après Adam de Brème et autres, et l’ « Impie » d’après Kluge.
  3. Ph. Champault, Le Personnage d’Odin, etc. Science Sociale, mai 1894, p. 398.