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l’homme et la terre. — chrétiens

mels à cet égard. Même le doux Jésus parle dans ses paraboles comme le ferait un despote d’Assyrie : « Tout arbre qui ne produit pas de bons fruits doit être coupé et jeté au feu ». — « Lancez le serviteur inutile dans les ténèbres de dehors : là il aura des pleurs et des grincements de dents ». — « Amenez ici les ennemis qui n’ont pas voulu que je régnasse sur eux et tuez-les devant moi ». — « La véritable pitié, c’est d’être impitoyable » ! ajoute saint Jérôme[1].

Les persécutions furent beaucoup moins appliquées à des ennemis païens qu’à des frères en la foi, rivaux pour la conquête du pouvoir. La première loi édictant la mort pour hérésie fut promulguée par Théodose contre quelque secte des manichéens : c’est le premier texte dans lequel il soit fait mention de l’Inquisition de la Foi[2]. De loin, les disputes théologiques paraissent avoir été inspirées seulement par l’ardeur des convictions et la passion de la domination religieuse, mais en regardant les choses de près, on s’aperçoit que d’autres causes furent également à l’œuvre. Or, à l’époque où le christianisme monta sur le trône avec Constantin, les membres du clergé, surtout en Orient, disputaient avec acharnement sur la nature de Jésus Christ  : les influences persanes, égyptiennes, judaïques et grecques se croisaient diversement, mêlant à l’infini leurs arguties théologiques : Christ avait-il été créé par son père, comme le professait Arius ? ou bien avait-il existé de toute éternité, égal au Père par son essence ? Ou bien ne l’égalait-il que par la volonté ? Toutes questions qui certainement passionnèrent la foule, mais que celle-ci ne put comprendre. On s’entre-maudit et s’entre-tua, mais sans bien savoir pour quel prétexte, car les raisons vraies n’étaient autres que l’enjeu des richesses et de pouvoir constitué par les propriétés, les palais, les capitaux : les intérêts économiques se cachaient sous un aspect religieux[3]. Pendant plus d’un demi-siècle la lutte se poursuivit avec oscillations diverses : conciles et empereurs décidèrent le pour et le contre, mais la victoire finit par rester au « symbole de Nicée » promulgué par le premier concile, sous le règne de Constantin ; l’opinion d’Arius devint donc une « hérésie » et sa doctrine, bannie de l’empire, ne trouva de refuge, pour un temps, que chez les barbares, Goths, Vandales et Lombards.

  1. Mathieu, vii, 19 ; xxv 30 ; Luc, iii, 9 ; xix, 27 ; — Raoul Rosières, Recherches critiques sur l’Histoire religieuse de la France, pp. 23, 24.
  2. Hartpole Lecky, Rationalism in Europe.
  3. J. Novicov, Conscience et Volonté sociales, p. 253.