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l’homme et la terre. — chrétiens

« Palmeraie », la Palmyre de l’Histoire, devenir une capitale d’empire et balancer la fortune de Rome.

Depuis un temps immémorial, Tadmor était restée ce que la nature l’avait faite, un lieu de rendez-vous pour les caravanes, un centre d’échanges où devaient se réunir les marchands phéniciens du littoral, les négociants de Damas, porteurs des denrées recueillies dans toutes les vallées du Liban et de l’Anti-Liban, les commissionnaires du trafic de l’Euphrate et les acheteurs du Taurus arménien, venus par la vallée du Chapur. Grâce à sa situation entre fleuve et mer, dans le voisinage d’un grand désert, difficile ou même dangereux à traverser, Tadmor était l’étape obligée sur la route la plus avancée vers le sud, parmi toutes les voies de communication naturelles ouvertes d’oasis en oasis. Utile à tous ses voisins, et même, par le rayonnement de son commerce, à tous les habitants de l’immense hémicycle de montagnes qui se recourbe du golfe d’Arabie au golfe de Perse, Tadmor avait donc un intérêt capital à vivre en paix avec tous, afin de ne pas inquiéter les trafiquants et les détourner vers les routes du nord par Haleb et le grand coude de l’Euphrate. Aussi fut-elle, pendant de longs siècles, la ville hospitalière par excellence. Les gens de toute race y étaient cordialement accueillis, et son marché présentait la plus curieuse réunion de types et de costumes. Aucune religion n’en était bannie : on adorait tous les dieux dans Tadmor, et lorsque le culte du Christ eut commencé de se répandre, les nouveaux religionnaires se pressèrent dans l’oasis à côté des Juifs, des adorateurs de Jupiter et de Mithra, des philosophes hellènes sans aucune attache religieuse. La « ville des Palmes » constituait une république, une cité libre, n’ayant que des alliés, n’attaquant personne et par conséquent non obligée de se défendre : elle resta longtemps sans histoire, malgré l’importance des transactions pacifiques dont elle était le centre.

Malheureusement, Tadmor s’était emplie de trésors par l’effet des bénéfices séculaires réalisés sur tout le monde de l’Asie antérieure, y compris Cypre et l’Égypte. En outre, la république commerciale était tombée sous la domination d’un homme de guerre, Odenath, dont les intérêts politiques dépassaient de beaucoup la région de l’Euphrate et de l’Oronte : ce personnage ambitieux profita de ses énormes revenus pour lever de puissantes armées et guerroyer, d’abord pour la plus grande gloire de Rome, sa suzeraine, puis pour son propre compte,