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stoïques et chrétiens

dicatifs en imaginant un enfer « dont le feu ne s’éteint point »[1].

Mais si la foule ne comprenait pas le stoïcisme, celui-ci montrait bien le même aveuglement, il ne discernait pas la force qui entraînait les masses populaires vers un nouvel idéal ; il ne croyait assister qu’à une dispute entre sectes judaïques[2]. Cette aristocratie de la pensée méprisait l’ignorance, dédaignait les passions, les enthousiasmes et les haines, elle ne savait point descendre dans le peuple, et c’est à juste titre que celui-ci ne la distinguait pas de la tourbe des jouisseurs ; pour autant qu’ils ne s’ignoraient point, stoïcisme et christianisme se détestaient. Combien s’écoulèrent de siècles avant que fût possible une synthèse entre des éléments si divers et que la raison éclairée considérât l’humanité entière comme véhicule !

Le christianisme, sous ses diverses formes, et notamment celle qui, après avoir triomphé, prit le nom d’orthodoxie, continua donc de se propager dans les masses profondes des nations réunies sous le pouvoir de Rome. A mesure que l’unité semble se faire plus solide par l’achèvement des rayons routiers entre Rome et tous les points stratégiques du pourtour de l’empire, à mesure que le nombre des citoyens s’accroît, au point d’englober, dès le commencement du IIIe siècle, tous les hommes libres, le désordre moral produit par la différence des cultes, des idées, des ambitions se généralise dans toutes les parties du monde romain. Le pouvoir central, représenté par l’empereur, ne peut donc plus s’appuyer sur le consentement universel des sujets, ceux-ci sont désormais divisés en nations et en classes qui s’entre-haïssent : pour les maintenir en troupeau docile, il faut se servir de l’armée comme principal instrument du règne. Peu d’années après le gouvernement pacifique des Antonins, Septime Sévère, victorieux de deux puissants compétiteurs, profita de ses victoires pour réorganiser complètement l’armée en constituant un corps de prétoriens choisis parmi toutes les légions et principalement parmi celles qui avaient tenu garnison dans les provinces orientales de l’empire : les noms transmis indiquent surtout cette origine[3].

Évidemment Septime Sévère avait constitué une force militaire sur

  1. Jules Baissac, Le Dieu sémite et le Dieu aryen, Société nouvelle, mai 1898.
  2. Anatole France, Sur la Pierre blanche.
  3. Leopold von Ranke, Weltgeschichte, IIIer Teil, Erste Abteilung, p. 367.