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villes mortes d’asie centrale

dans ce désert, aurait pu contenir des habitants par milliers. D’après les objets qu’on y a découverts : boiseries, statuettes et peintures, on peut affirmer que cette « Pompéi asiatique » est vieille d’au moins mille ans, probablement antérieure à l’invasion musulmane du huitième siècle, et qu’elle était peuplée de buddhistes : nombre de figures présentent des types aryens aussi bien caractérisés que ceux des Persans, d’autres sont marquées d’un trait jaune à la naissance du nez, comme des millions d’Hindous. Des roues de char trouvées dans le sable des dunes prouvent que le pays fut pourvu jadis de routes carrossables[1]. D’après les explorateurs américains, plusieurs agglomérations humaines se seraient succédé dans ces régions, succombant l’une après l’autre au retrait graduel des eaux douces vers le Kuen-lun et au terrible vent du nord-est : la dernière de ces villes aurait été abandonnée il y a une soixantaine d’années seulement[2].

Plus à l’est, à la porte du vaste cirque montagneux qui entoure la Kachgarie d’un rempart régulier de plus de deux mille mètres de hauteur et qui n’est plus habité que sur une zone elliptique de cinquante à cent kilomètres de largeur, entre le désert et les neiges, Sven-Hedin a retrouvé une autre ville qui, suivant les fragments d’écriture découverts dans les ruines, n’est autre que Lu-lan, dont on connaissait le nom par les livres chinois et qu’on cherchait sensiblement au nord de sa position véritable. Lu-lan se trouve sur une ancienne berge du Lob-nor, cette nappe d’eau errante que les voyageurs dessinent maintenant à une centaine de kilomètres plus au sud que les cartographes chinois d’il y a mille ans. Les conditions géographiques du pays ont donc complètement changé ; deux ou trois constructions en briques, des poutres en bois de peuplier rongées par le sable, des médailles et objets divers, des papiers écrits et des bâtonnets recouverts de caractères, voilà tout ce qu’il reste de cette ville, florissante il y a quinze siècles[3]. De nos jours, la dénudation due au vent est telle qu’on cherche vainement aux alentours une motte de terre végétale.

Enfin, à Turfan et aux environs, les fouilles de Grünwedel et von Lecoq ont mis à jour des terres cuites, des fragments de statues, des fresques et des manuscrits, débris divers sur la foi desquels on

  1. Sven-Hedin, Trois ans de Luttes aux Déserts d’Asie, trad. Rabot, pp. 147 à 153.
  2. Petermann’s Mitteilungen, 52, III, p. 71.
  3. Sven-Hedin, Dans les Sables de l’Asie, pp. 313 et suiv.