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l’homme et la terre. — chrétiens

colère des petits marchands. Lorsque l’apôtre Paul, prêchant à Éphèse, voulut entraîner la foule vers un dieu nouveau, ce furent les industriels intéressés qui s’ameutèrent contre lui, surtout les orfèvres, « fabricants de petits temples en argent dont ils tiraient toute leur subsistance ». Ils vivaient du culte de la déesse locale et c’est pour sauver leur pain quotidien qu’ils hurlèrent de concert pendant deux heures : « Grande, grande est la Diane des Ephésiens ! »[1] Trois cents ans plus tard, les industries étaient changées, mais l’esprit de lucre était bien resté le même, car les conciles ayant proclamé que la Vierge Marie garderait son titre de « Mère de Dieu », et que les médailles portant ce nom auraient toujours leur caractère de sainteté, le peuple d’Éphèsc fut rempli de joie et dans les rues on se précipitait aux pieds des évêques pour embrasser leurs genoux[2].

L’organisation intime de l’Église se modela aussi sur celle de l’Empire ; les successeurs des apôtres se firent prêtres et peu à peu la hiérarchie s’établit parmi les évêques, les prêtres et les simples catéchistes : les fidèles durent s’habituer à l’obéissance, et les agapes fraternelles des premières années d’amour et d’enthousiasme furent abandonnées sous prétexte de scandale. Tant que les croyants étaient égaux et constituaient l’ « assemblée », ils mangeaient volontiers en commun : dès que l’Église eut des surveillants et des maîtres, on dut s’asseoir à des tables différentes. Les prêtres se distinguèrent du commun des convertis et prirent leur nourriture à part : même leurs aliments acquirent un caractère divin, convenant à des êtres devenus sacrés. C’est ainsi que, dans l’Église catholique, la « cène », que l’on s’imagine d’ordinaire avoir eu pour modèle la Pâques de Jésus avec ses disciples, se trouva reproduire beaucoup plus exactement le repas sacré des prêtres mazdéens. Le prêtre du Christ boit la liqueur de la vigne devant les fidèles, de même que le dajondaj buvait la sève du homa : il avale l’hostie, de même que son prédécesseur iranien prenait le daroun, rondelle de farine également cuite sans levain[3].

Une des causes assignées par Tacite au relâchement du lien national et à la décadence de la personnalité romaine, l’affluence des barbares à Rome, eut certainement une importance capitale : l’histoire a fourni

  1. Actes des Apôtres, XIX, v, 24 à 34.
  2. Montesquieu, Esprit des Lois, I, XXV, ch. 11.
  3. R. C. d’Ablaing van Giessenburg, Évolution des Idées religieuses dans la Mésopotamie et dans l’Égypte, pp. 149 à 151.