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adaptation du christianisme

fesseurs de la foi chrétienne, ainsi que nous le racontent les martyrologes, rédigés longtemps après, lorsque le christianisme était, à son tour, devenu la religion dominante, le pouvoir aurait procédé contre eux par une extermination méthodique, et jamais Tertullien n’eût eu l’occasion de lancer son apostrophe fameuse sur la présence des chrétiens dans toutes les parties de l’Empire, dans les armées, les prétoires et les palais. S’ils avaient pu se glisser partout, c’est que partout ils s’étaient accommodés à des institutions réprouvées par leurs convictions intimes ! Sauf en quelques périodes exceptionnelles, les sujets chrétiens n’eurent donc pas à subir l’oppression systématique des grands, et les persécutions qui se produisirent furent plus déterminées par des haines de race ou de classe que par des dissensions religieuses. Dans les armées, ce fut comme chefs de légions, et non en leur qualité de dépositaires de la foi et de régulateurs des cérémonies religieuses que les empereurs ou leurs lieutenants en vinrent à sévir contre les chrétiens : lorsque des soldats, professant le nouveau culte, refusaient de sacrifier aux enseignes et aux aigles, les propres dieux du grand corps militaire, ils se trouvaient dans une position analogue à celle de recrues anarchistes refusant dans une armée actuelle le salut au drapeau[1].

L’adaptation, ou, du moins, un certain assouplissement aux mœurs nationales dans chaque partie de l’empire était tout aussi indispensable au christianisme que la faveur ou la tolérance du pouvoir. Cette évolution ne manqua donc pas de se faire. Tout d’abord, le christianisme, prenant sa forme définitive, se présenta de manière à se faire très acceptable aux yeux de la société romaine. Bien que la plupart de ses membres fussent des pauvres, des humbles, des esclaves et fils d’esclaves, ils se dégagèrent bien vite de leurs premières pratiques de communisme qui les rendaient suspects aux marchands et fournisseurs de toute espèce et qui avaient été probablement la cause du premier « martyre de la foi » : si la multitude fanatique des Juifs lapida le « diacre » Étienne, c’est précisément parce qu’il était le gérant, le personnage le plus en vue de la petite communauté chrétienne qui visait par l’association des forces à saper les bases de la société « traditionnelle ». Les chrétiens apprirent bientôt à ne pas soulever contre eux la

  1. Eugène Guillaume, Revue des Deux Mondes, 15 juillet, 1897.