Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome III, Librairie universelle, 1905.djvu/276

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
256
l’homme et la terre. — chrétiens

pas dans le fond même de la nature humaine, de même que les sentiments contraires ? Les uns ne se sont-ils pas aimés de tout temps, et les autres ne se sont-ils pas haïs depuis les origines du monde animal, et n’est-ce pas dans les relations naturelles d’homme à homme, dans leurs attractions et répulsions mutuelles, que les morales et les religions ont pris naissance pour se développer diversement à la surface du monde ?

Si les ressemblances sont grandes entre les deux doctrines nées dans l’Inde et en Palestine à six siècles d’intervalle et si des pénétrations réciproques se produisirent de l’une à l’autre, il existe pourtant entre ces deux grands mouvements de l’humanité une différence essentielle : le bouddhisme, né du sentiment de la douleur humaine, a pour objectif suprême d’arriver à la détruire, tandis que le christianisme prêche la résignation aux misères de ce monde, considérées comme ayant été voulues par Dieu en guise d’achat des joies futures du paradis. Les « quatre vérités salutaires », bases de l’enseignement bouddhique, sont de « connaître la souffrance, en étudier les causes, en chercher la suppression et en trouver le remède ». Un homme de cœur et d’intelligence peut-il avoir maintenant un autre idéal ? Peut-il se résigner quand il a compris que l’union des bonnes volontés suffirait à écarter les principales causes de la souffrance parmi les hommes[1] ?

Un autre contraste fondamental entre le christianisme et le bouddhisme provient de ce que les chrétiens, immédiatement après leurs premiers essais passagers de communisme entre disciples juifs, maintinrent explicitement les différences de classes, depuis celle des souverains jusqu’à celle des esclaves. Évidemment, le christianisme contribua à l’émancipation de ces derniers, mais seulement pour son mouvement normal, venu d’en bas : au contraire par ses autorités, par son gouvernement, par le mouvement d’en haut, il travailla à consolider l’esclavage. Bien plus, la foi prêchée par saint Paul, et devenue celle de toute l’Église, crée encore une distinction nouvelle et terrible, celle qui sépare à tout jamais les élus et les réprouvés. Dans le bouddhisme, les condamnations irrémissibles sont écartées : tout ce qui palpite, consciemment ou inconsciemment, jouit d’une parfaite égalité avec tous

  1. Mithra, par Alexandra David, Étoile Socialiste, n° 20, 18 au 25 avril 1895.