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l’homme et la terre. — chrétiens

nications entre l’Orient et l’Occident, la religion de Mithra se répandit dans tout le monde méditerranéen, balançant les progrès de l’autre religion, le christianisme, venu également de l’Est et souvent se confondant avec elle. Partout, jusque dans les Gaules, jusque dans la péninsule Hispanique, on sacrifia le taureau, l’animal spécialement consacré au soleil, afin d’attirer sur le peuple les faveurs de Mithra, la divinité de la Lumière et de la Force, le « Dieu invaincu ».

En même temps, le christianisme, sorti de Judée, de la Syrie, d’Alexandrie, de la Grèce, s’infiltrait dans l’Iran, en échange du mithraïsme. De ce mélange naquit le manichéisme qui pénétra tout l’Ancien Monde vers la Chine et vers l’Occident, et dont on retrouve l’influence jusque dans les doctrines albigeoises. Mani, d’après lequel la religion nouvelle fut désignée, s’en tint, vrai Persan, à l’idée du dualisme, le bien éternel et le mal éternel, comme principes irréductibles ; mais, appliquant cette doctrine à l’homme, il vit en lui un rayon de lumière pure, une parcelle de bien, enveloppée de ténèbres et de mal par l’intermédiaire impur de son corps. Pour revenir à l’innocence première, le fidèle avait à lutter incessamment contre ses passions, même à abdiquer le travail comme chose provenant de l’empire du mal : il en résultait forcément que la société se divisait en deux classes, celle des « purs » qui se donnaient la prière pour tout labeur et celle des « impurs » travaillant pour nourrir les prêtres. À cet égard, on peut dire que la pratique des catholiques occidentaux n’a point différé de la pratique manichéenne : si les dogmes sont distincts, l’une et l’autre religion aboutissent au même résultat social.

Et par delà la Perse, le buddhisme eut-il aussi quelque influence sur la religion du Christ ? On a beaucoup discuté la question, mais il est certain que cette influence fut considérable, moindre toutefois que celle du mazdéisme. Et l’on possède un témoignage des plus bizarres de cette influence, puisque le Buddha lui-même, quoique sous un nom d’emprunt, figure dans l’hagiographie de l’Église chrétienne. Jean Damascène, un moine du huitième siècle, ayant reproduit un récit buddhique en donnant à ses personnages les noms de Barlaam et de Josaphat, ces deux êtres de la légende furent mis au rang des saints, or Josaphat n’est autre que le Buddha ; dans l’Eglise d’Orient, sa fête tombe le 26 août, et c’est le 27 novembre que les fidèles romains