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l’homme et la terre. — chrétiens

gements de milieu politique et social : c’est ainsi que, suivant une parole des Évangiles, Jésus était venu « non pour abolir la loi, mais pour l’accomplir »[1]. Toutefois la nouvelle évolution religieuse, destinée à s’étendre sur tout le monde romain, devait se préparer moins dans la petite Judée que dans la contrée limitrophe qui était alors le véritable foyer des études et de la pensée. Alexandrie était à la fois l’héritière de l’Égypte et celle de la Grèce. Aussi faut-il y voir certainement le lieu de naissance, sinon du christianisme populaire, au moins du mouvement général des idées duquel il est issu : les événements passent par une période de gestation profonde avant de prendre corps et de recevoir des historiens la constatation officielle de leur existence.

Antérieurement aux chrétiens de Judée et d’Antioche, et se rattachant aux sectes esséniennes, l’école judéo-grecque de Philon avait tenté de réaliser son idéal par l’Instilut des Thérapeutes ou « Guérisseurs », qui s’établit au bord du lac Maria (Maréotis, Mariut). Les novices qui s’y trouvaient réunis voulaient à la fois personnellement se « guérir » de la vie matérielle en détachant leur âme par la prière de la grosse servitude du corps, et « guérir » les hommes en s’offrant à Dieu comme victimes volontaires pour le salut des autres. Quelle différence y avait-il entre ces gens et les religieux qui, plus tard, prirent le nom de chrétiens ? Malgré les conditions du milieu historique, les Thérapeutes d’Égypte étaient réellement des chrétiens avant le Christ, et c’est très justement qu’Eusèbe de Césarée, l’historien de l’Église primitive, vit en eux des fidèles de son culte[2] ; ils devaient du reste plus tard se convertir explicitement, touchés par la parole de l’apôtre Pierre. Ainsi que le dit Ernest Havet[3], « Philon fut le premier père de l’Église » ; on peut même se demander avec Lejeal si le vocable grec μεσιτης ou « médiateur » qu’employait Philon pour désigner l’intermédiaire entre Dieu et le monde n’est pas celui qui prévalut plus tard sous la forme de « messie », mot que l’on dérive ordinairement d’un terme araméen, machiach ou l’ « oint » ; on peut aussi admettre comme très plausible une déviation analogue dans un autre titre de l’Homme-Dieu : avant d’être surnommé « Christ », dont la signification est aussi celle de « oint », Jésus était simplement « Chrestos », c’est-à-dire « le Bon ».

  1. Évangile selon saint Mathieu, v, 17.
  2. Gustave Lejeal, Humanité nouvelle, janv. 1899.
  3. Le Christianisme et ses Origines, II, p. 243.