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la demi-circonférence planétaire se développant des côtes de l’Asie à celles de l’Amérique. Même les faits de « dissémination accidentelle »[1], à défaut de migrations préméditées, pourraient expliquer le peuplement graduel de toutes les îles, car il arriva souvent que des barques chargées d’hommes et de femmes furent saisies par la tempête et portées au loin sur des plages inconnues. Le grand courant équatorial qui, dans la zone torride, entraîne les eaux et les épaves dans la direction de l’est à l’ouest, et le contre-courant, beaucoup plus faible, qui, dans le voisinage de la ligne équatoriale, reflue en sens inverse, d’occident en orient, durent aider souvent à cette dispersion involontaire des Malayo-Polynésiens. Hale, puis de Quatrefages ont tracé une carte[2] des migrations océaniennes dont les principaux traits sont mis hors de doute par les traditions locales et par l’histoire.

Mais de pareils documents ne peuvent avoir qu’une valeur d’indication, car, pendant la durée des âges, le va-et-vient des hommes, quoique réglé par certaines lois générales, a certainement décrit un réseau de mailles très nombreuses qu’il paraîtrait impossible de débrouiller au premier abord. Dans la plupart des archipels, les voyageurs qui se sont enquis auprès des indigènes nous apportent l’écho de migrations et contre-migrations diverses : on leur dessine des cartes sommaires sur le sable pour leur montrer la direction suivie par les aïeux ou par les bannis ; on pointe vers les vapeurs de l’horizon lointain ou vers les étoiles du ciel pour indiquer les lieux de l’espace où l’on vit pour la première ou pour la dernière fois la flottille d’arrivée ou de départ. Les naturels de Ponape, dans les Carolines, parlent dans leurs traditions de trois races successives ayant dominé le pays, les nains, les géants, les cannibales. Les nains, dont il existerait encore quelques descendants sur la côte occidentale de l’île, furent très probablement des négrito, frères des Aeta et des Mamuana philippins, des Sakaï et des Semang de la péninsule malaise, des Minkopi de l’archipel andamène. Leurs voisins les décrivent comme des individus petits, à peau noirâtre, ressemblant à certains poissons, au masque rendu hideux par un disque rond d’où ne ressortent que les yeux. Christian ne visita pas ces nains ou Chokalaï, mais il put explorer une de leurs nécropoles, dont les tombeaux, construits en basalte, n’ont à l’intérieur

  1. A. de Quatrefages, Introduction à l’Étude des Races Humaines, p. 146.
  2. Voir la carte n° 44, p. 325, vol. I et la carte n° 227, p. 93, vol. III.