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du large ; de même, en France, ce sont des navigateurs de la haute mer qui imposèrent le mot « embouchure » aux entrées fluviales : alors qu’au point de vue logique, le fait du déversement des eaux dans la mer aurait dû faire adopter un nom indiquant le mouvement de sortie. Dans les Philippines, le nom de balanhay ou « barque » donné de nos jours aux villages malais rappelle les temps anciens où toute la « barquée » s’installait sur la côte, gardant les habitudes du bord, comme si elle avait encore à ramer sur les ondes[1].

Aucune région du monde n’est mieux aménagée que la Malaisie pour les facilités des communications et des échanges ; si le mot « prédestiné » pouvait être appliqué à une partie quelconque de la surface terrestre, c’est pour ces îles et presqu’îles du monde malais qu’il faudrait l’employer. Elles abondent en produits de toute espèce, minéraux et pierres précieuses, écorces et gommes, plantes et fruits ; chaque île a ses richesses particulières ; nulle part on ne voit plus grande diversité de formes vivantes, végétales ou animales. On sait que, d’après les observations de R. Wallace[2], le détroit de Lombok, se continuant au nord par la manche de Macassar, lui paraissait séparer nettement des flores, des faunes, des peuples d’origine et de langue différentes, en un mot deux mondes tout à fait distincts : les naturalistes qui ont succédé à ce grand voyageur n’ont pas trouvé que le contraste fût aussi vigoureusement tranché ; il est certain, en tout cas, que les trois terres principales de l’ouest, Sumatra, Java, Bornéo, et d’autre part Célébès ainsi que ses voisines orientales de l’archipel malaisien possèdent également des richesses naturelles d’une extrême variété, faciles à utiliser par l’homme.

Les troncs puissants des arbres déracinés du rivage fournissent aux populations riveraines des madriers tout préparés, qu’il suffit d’ébrancher et de lier fortement avec les cordages des lianes entrelacées ; de même le constructeur déjà fort dans son métier trouvait sur le littoral les bois les plus solides et les plus résistants pour y excaver ou pour en tailler des bateaux. D’amples rades et des criques bien abritées interrompent le profil extérieur des îles, d’innombrables ports se présentent, attirant de-ci de-là les barques des navigateurs. Aussi les Malais devinrent-ils, à des époques très lointaines, les

  1. Olivier Beauregard, Bulletin de la Société d’Anthropologie de Paris, 7 juillet 1889.
  2. Malay Archipelago.