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l’homme et la terre. — inde

au-dessus de ces états, réputés inférieurs, mariage et paternité. Jusqu’à l’âge de vingt-neuf ans, il vécut en son palais dans tout le bien-être apparent d’une existence somptueuse, mais la vue de toutes les inégalités sociales auxquelles il contribuait par le fait seul de son pouvoir, et qui rendait impossible toute fraternité humaine, le rongeait comme un remords et, sortant de sa riche maison, congédiant tous ses chambellans et ses serviteurs, revêtant le costume du plus pauvre parmi les pauvres, il quitta le pays des Aryens vainqueurs, traversa la Gangâ pour gagner les forêts du sud, au milieu des Dasyu, honnis et persécutés, et là il vécut dans la méditation et le renoncement. Quelques disciples l’accompagnaient, des brahmanes probablement. Mais c’est en vain que, pendant six, sept ou dix années, suivant les légendes, il chercha la paix : maintes fois il dut lutter contre son désespoir, figuré dans les imaginations populaires par le dieu de la Mort.

À la fin, il comprit que l’homme ne se doit pas à sa tristesse et que c’est une forme d’égoïsme honteuse et lâche que de ruminer ses chagrins, ses vertus, son orgueil, sa propre justice, et de savourer à l’aise une mélancolie poétique, en oubliant ses frères qui peinent là-bas, qui luttent et qui souffrent dans le grand combat pour l’existence. Sollicité à genoux par Brahma qui descend du ciel pour l’implorer, il abandonne les jungles de Gaya, et seul, car ses disciples scandalisés en restaient à leur aristocratique mépris du genre humain, il apparut dans la grande cité de Bénarès pour y prêcher dans les rues, sur les places publiques et les degrés qui descendent au fleuve, la bonne nouvelle de la fraternité. Plus de rois, plus de princes, plus de chefs ni de juges, plus de brahmanes ni de guerriers, plus de castes ennemies se haïssant les unes les autres, mais des frères, des camarades, des compagnons de labeur en commun ! Tous les êtres se valent d’après le Buddha, les plantes, les animaux, les hommes, aussi bien les vicieux que les vertueux, et chacun de nous ne doit avoir d’autre ambition que de faire du bien à tous. Personne ne doit s’enorgueillir, personne n’est tenu de s’humilier, chacun est à sa place, toute hiérarchie est supprimée : il n’y a point de rôle pour l’autorité, ce fait brutal que les maîtres considèrent si volontiers comme un « principe ».

On a voulu nier au Buddha et même à tout Hindou, fils d’Aryen ou fils de Dravidien, la moindre velléité révolutionnaire s’attaquant au