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l’homme et la terre. — inde

assis, ni celui qui s’écrie : « Je suis ton prisonnier ». Qu’il ne frappe pas non plus celui qui dort ou le guerrier qui a perdu sa cotte de mailles, ni l’homme nu ; ni celui qui est désarmé, qui regarde le combat sans y prendre part, ou qui est surpris avec un autre ennemi. Qu’il ne frappe pas l’homme dont les armes sont brisées, ni celui qui est amolli par la douleur, ni celui qui est grièvement blessé, ni celui qui a peur : mais qu’il se souvienne du devoir d’un loyal guerrier… Ceux-là seuls qui ont des armes pareilles peuvent se combattre : l’homme qui lutte en char ne peut attaquer d’autre adversaire qu’un guerrier luttant également en char ; le cavalier peut uniquement s’en prendre à un cavalier ; les fantassins doivent se battre contre les fantassins »[1].

Malgré les violences qui ressortent naturellement de l’état de guerre, ces préceptes étaient généralement observés, non par bonté d’âme, mais parce que la différence des castes était entrée dans la substance même de la pensée. Les Grecs qui visitèrent l’Inde après l’invasion des Macédoniens s’étonnaient de voir le laboureur pousser tranquillement la charrue alors que près de lui deux armées aux prises ébranlaient le sol[2]. Mais pourquoi cette philosophie pratique de l’humble manant, sinon parce qu’il n’avait aucun intérêt, dans la victoire ou la défaite de l’un ou l’autre parti ? Homme d’une caste inférieure, fatalement étrangère à tous, il n’avait point de patrie et tous ceux qu’il voyait lutter pour la possession du sol étaient également des ennemis. Jamais en aucun autre pays de la Terre, la division des hommes en espèces artificielles, foncièrement distinctes, ne s’était aussi nettement produite.

On a voulu expliquer la naissance des castes par la préoccupation prudente de législateurs édictant des prescriptions pour maintenir la pureté du sang : « l’hygiène de la race », telle aurait été la raison d’être de cette rigoureuse institution. Il y aurait parfaite coïncidence entre les mesures de préservation ordonnées par la loi de Manou et les conseils donnés par les hygiénistes modernes[3]. Toutefois, les règles formulées par les lois au sujet des mariages se rapportent

  1. E. W. Hopkins, The social and military Position of the ruling Caste in India, p. 227 ; Ernest Nys, l’Inde Aryenne, p. 24.
  2. Megasthènes ; Irving, Theory and Practice of Caste, p. 75, cité par Oldenberg, Buddha, p. 12.
  3. Sir J. Fayrer, Préservation of Health in India.