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montagnes qui se succèdent au nord, limitant les hauts plateaux du Tibet. Sans doute ces arêtes ne furent pas un obstacle infranchissable, et de tout temps des marchands, des pèlerins, même des voyageurs curieux de savoir passèrent de l’un à l’autre versant, mais ce mouvement de va-et-vient n’eut pas assez d’importance pour qu’on puisse attribuer à ces voies précaires de communication un rôle historique dans les rapports de peuple à peuple et dans l’équilibre général de la civilisation. La dernière voie majeure des nations, à l’est du col de Bamian et des passages voisins, est celle qui met en rapport la haute vallée de l’Indus avec celle du Tarim, en Kachgarie, par-dessus les périlleuses mais étroites arêtes du Kara-korum : là du moins la traversée des neiges et des glaces est relativement courte, aussi le sentier que suivent péniblement les caravaniers est-il indiqué dans l’air par le vol des oiseaux migrateurs. À l’autre extrémité des chaînes himalayennes, il faut aller jusqu’aux régions septentrionales de la Barmanie, limitrophes de la province chinoise de Yun-nan, pour trouver une autre voie historique, la « route d’or et d’argent », qui met en communication normale les deux mondes de l’Inde et de la Chine : entre les deux routes divergentes de l’est et de l’ouest, il n’y a pas moins de 3000 kilomètres à vol d’oiseau. C’est la longueur du mur qui tint si longtemps les deux civilisations principales de l’Asie presque complètement séparées.

Trop élevées pour qu’on les franchît aisément, les arêtes himalayennes l’étaient également pour que les gens des plaines basses et ceux des monts sourcilleux pussent entrer en conflit. À cet égard, l’Himalaya fait exception parmi les montagnes de la Terre. Dans tous les pays du monde où des plaines ou des « pied-mont » sont dominés par des chaînes ou des plateaux d’une altitude modérée, les habitants des campagnes inférieures ont à redouter les incursions des montagnards. Ceux-ci, nichés dans les rochers comme des vautours, menacent toujours les producteurs méprisés, bergers ou laboureurs qui veillent sur leurs brebis ou se penchent sur leurs sillons. Mais les monts du système himalayen se dressent trop haut dans le ciel pour que les populations des campagnes gangétiques aient à craindre les Tibétains et autres habitants des plateaux supérieurs. C’est ainsi que les bêtes et bestioles de l’Ecuador, vivant dans les plaines et sur les pentes des monts à moins de 2 700 mètres en altitude, sont à