Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome III, Librairie universelle, 1905.djvu/164

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
148
l’homme et la terre. — inde

de l’Atropatène et de la haute Iranie est fort long jusqu’aux plaines de l’Inde septentrionale et aux plateaux du sud. De nos jours encore, les brahmanes du Dekkan, les Parsi de Bombay et ceux de Yezd et de Kerman, en Perse, préparent le somâ de façons différentes. L’opinion générale est que ce mot a simplement le sens de liqueur « fermentée » et qu’il s’applique à toute espèce de boissons clarifiées par l’action des microbes. Dans les chants védiques il s’agissait probablement d’une sorte de bière faite avec le riz ou le froment et ressemblant à celle que l’on boit encore aujourd’hui dans le pays.

Une autre grande joie des Aryens, ceux de l’Inde comme ceux de l’Iranie, était, lors des sacrifices, de faire naître le feu et d’en voir les flammes aiguës darder vers le ciel. Leur adoration pour Agni semblait être mélangée de reconnaissance, comme s’ils se rappelaient encore l’époque lointaine à laquelle les ancêtres ignoraient la pierre du foyer, lorsque nul Prométhée n’avait encore apporté la précieuse étincelle ravie au dieu du tonnerre ou du jour. A certains égards, Agni était pour eux plus qu’un dieu, c’était un frère : « Père Jour, Mère Terre, Frère Feu »[1], ainsi commençaient certaines incantations. Ils ne manquaient jamais, dans les saintes cérémonies, de rallumer le feu suivant le mode antique, c’est-à-dire au moyen de deux baguettes de bois différents, l’une tournoyant dans une encoche de l’autre.

Mais lorsque les immigrants aryens de l’Inde, arrivant au milieu de peuples cultivant pacifiquement leurs campagnes, les dépossédèrent violemment, enlevant femmes, filles et biens, de pareils événements ne pouvaient s’accomplir sans que le conquérant y perdît la simplicité première de ses mœurs et sa propre liberté. Des chefs de guerre, se grandissant en rois, en empereurs, menaient leurs hommes à la bataille et au butin, les pervertissant par degrés en sujets et en esclaves. Parallèlement à la caste des rois s’en développait une autre, celle des prêtres sacrificateurs, qui étaient aussi les chanteurs et les bardes, ou du moins appartenaient à la même classe. Les pères de famille, les patriarches ne célébraient plus dorénavant leur culte isolément : ils prenaient part comme simples fidèles aux cérémonies de la nation, dans lesquelles officiaient des prêtres en grand nombre, ayant chacun un rôle spécial : attacher la victime

  1. Zenaïde A. Ragozin, Vedic India, p. 157.