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l’homme et la terre. — inde

damné à la vie souterraine, gît endormi au-dessous des fondements de la cité, jusqu’au jour où réveillera la Trompette du jugement.

Très rapprochés des Iraniens par la langue, la religion, les mœurs, les Arya qui descendirent dans les plaines de l’Inde se modifièrent par reflet de leur nouveau milieu, mais sans que la parenté originelle puisse être mise en doute. Certains chants du Rig-veda hindou se retrouvent dans des textes de l’Avesta persan ; non seulement l’idée et la coupe des vers sont presque identiques, mais les mots eux-mêmes diffèrent à peine[1] : la divergence n’est pas plus grande qu’entre les parlers français de deux provinces juxtaposées ; on peut se comprendre mutuellement des rivages de la Caspienne aux campagnes qu’arrosaient les Sept rivières. Il est vrai que l’unité du langage fut artificiellement maintenue par les chantres errants, les troubadours de l’époque, qui cheminaient de cour royale en cour royale, pour réciter les mêmes épopées, les orner des mêmes louanges grossières en l’honneur de leur hôte et les terminer par les mêmes demandes cyniques d’argent ou de bijoux. De tout temps ce métier de poète voyageur fut très florissant en Asie.

Mais le trésor de chants qui se transportaient ainsi de pays en pays grâce à la parenté des langages se mêlait aussi d’éléments étrangers tout différents de ceux qui constituaient l’avoir primitif et que l’élan même de l’âme avait fait jaillir spontanément. Il a fallu trier avec soin les hymnes du Rig-veda, et, dans chacun des hymnes les strophes et les vers, pour en dégager la poésie naïve et pure qui naquit chez le peuple enfant à la vue des beaux astres du ciel, des nuages qui courent dans l’espace, des montagnes de l’horizon qui changent de nuance à chaque heure du jour, des torrents qui se précipitent avec bruit dans la plaine, des animaux qui bondissent joyeusement dans la prairie. À ce fond originaire sont venus s’ajouter maints détails imposés par l’aspect et les phénomènes d’une nature différente ; les échos de poèmes récités par d’autres peuples, alliés ou vaincus, les ont graduellement pénétrés, puis les prêtres en ont dénaturé le sens, les transformant en prières et en incantations, les réduisant en vain formulaire, et donnant un caractère sacré aux basses sollicitations des chanteurs itinérants.

« La poésie des Veda est avant tout, dit Brunnhofer, une poésie des

  1. Ch. Bartholomæ, Handbuch der alt-iranischen Dialekte, Einleitung ; Hermann Brunnhofer, Urgeschichte der Arier, Erster Band, passim.