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de ses eaux retentissantes » ? Les chants la disent avoir été « plus rapide qu’un char, plus difficile à traverser qu’une muraille de fer ». On cherche à s’expliquer la disparition de cette rivière sainte, racontée comme la « fuite de la déesse » par les poèmes postérieurs au Rig-veda. Il est vrai qu’un ruisseau dit Sarasvati ou Sarsout s’échappe d’une des portes de l’Himalaya, mais si peu considérable que les canaux d’irrigation l’ont bientôt bu dans son entier ; or, une rivière aussi grande que la décrivent les premiers chants védiques ne saurait avoir été tarie par les rigoles de quelques laboureurs. On ne peut s’expliquer le mystère de la Sarasvati que par un changement de cours dans le régime himalayen. Il semble probable que la rivière Djamna (Djemna), qui maintenant s’unit à la Gangà, se déversait autrefois dans l’Indus et en doublait le volume. En effet, dans la partie haute de la plaine hindoue, le cours de la Djamna n’est séparé du bassin de l’Indus que par un terrain d’alluvions d’environ 20 mètres d’altitude, et l’on croit reconnaître au travers de ce seuil les traces d’une coupure qui se continue vers l’occident par le lit de la Gagghar, serpentant au loin dans le désert : la fosse en est actuellement sans eau, mais assez large pour contenir tout un fleuve Indus, partout où elle n’a pas été obstruée par le sable des dunes. Ainsi, grâce à la Sarasvati-Gagghar qui fut en réalité la puissante Djamna, l’énorme Indus, plus grand que la Gangâ et que le Brahmaputra, descendait, majestueux et formidable, vers la mer. Du reste, depuis 2 000 ans, nombreuses ont été les modifications hydrographiques de la plaine hindoue : toutes les rivières se sont plus ou moins déplacées, le confluent du Bias et du Satledj était alors beaucoup plus loin du pied de la chaîne ; l’Indus lui-même empruntait, dans la partie basse de son cours, un autre lit que celui dans lequel il coule aujourd’hui : il s’épanchait dans le golfe de Rann par la dépression de la Narra.

Il est certain que, même à l’époque où se chantaient les hymnes du Rig-veda en l’honneur de la divine Sarasvati roulant ses eaux bruyantes, des sécheresses partielles se produisaient souvent dans les campagnes situées à quelque distance des rivières, dans les Doab ou « Entre deux eaux » : les rogations dont les anciens Veda nous ont conservé les formules témoignent de ce manque d’eau qui effraya souvent les ancêtres aryens des Hindous. Les phénomènes de l’orage et de la pluie les préoccupaient trop pour qu’ils n’aient pas eu à souffrir de la séche-