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de civilisation, est entrée plus tôt que l’Inde du sud dans le cercle de l’histoire écrite, et, par suite, a tellement attiré vers elle l’attention des écrivains, qu’elle a été souvent présentée comme représentant historiquement l’Inde dans son ensemble. Le Veda, c’est-à-dire le recueil de chants et prières des immigrants établis dans l’angle nord-occidental de l’Inde actuelle, le Veda « est un soleil central dont les rayons éclairent les origines de la vie hindoue : Perses à l’orient, Hellènes à l’occident, Slavo-Germains au nord-ouest et Touraniens au nord-est »[1]. Mais quel domaine étroit que celui dans lequel brille ce soleil à la naissance de notre monde de civilisation ! Il n’est pas un seul passage des 1 028 hymnes védiques dont on puisse inférer que les auteurs aient eu la moindre connaissance des bouches de l’Indus : ils ne mentionnent que les « Sept rivières », hauts affluents du fleuve le Satledj, la Gangà et la Djamna. Il y a donc trois mille sept cents ans, date probable de l’établissement du canon des Veda, que les immigrants iraniens occupent solidement le nord-ouest de la péninsule gangétique. Mais, à cette époque, ils n’avaient pas encore débordé dans les autres provinces[2].

Les chronologies mythologiques des Brahmanes divisent en quatre âges la série des temps qui, suivant la perspective naturelle de toutes les civilisations antérieures à la nôtre, sont censés avoir empiré graduellement. Dans le premier âge, qui correspond à l’ « âge d’or » des auteurs grecs, l’homme était plus vertueux, plus heureux et jouissait plus longtemps de l’existence ; dans le second âge, la vie s’abrège, le vice et le malheur font en même temps leur apparition ; dans le troisième âge, la corruption physique et morale fait de grands progrès ; puis, dans le quatrième âge, qui est la période actuelle, le mal a tellement triomphé que les gens de bien sont obligés de se retirer du monde. Aussi ne se donnent-ils pas la peine d’en raconter les événements, trop humiliants pour la dignité du sage ; du moins nous en indiquent-ils la date initiale : d’après les brahmanes, qui se sont livrés à ces spéculations, notre âge dure depuis cinquante siècles[3], c’est dire que, probablement, les plus anciens écrivains de l’Inde faisaient remonter jusqu’à cette date, comparable à celles de la chronologie bi-

  1. Hermann Brunnhofer, Vom Aral bis zur Gangâ, p. XXV.
  2. Même ouvrage, p. X.
  3. Jos. T. Reinaud, Mémoire sur l’Inde, lu en 1846. Commencement de l’ère actuelle, 4 948 ans avant cette date.