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l’homme et la terre. — orient chinois

nants progrès accomplis récemment par la nation japonaise n’auraient pu s’expliquer, pensaient-ils dans leur égotisme collectif de blancs, si cette nation avait eu pour origine des races dites inférieures comme les Mongols, les Malais ou les Eskimaux. Or, il paraît bien que ces divers éléments sont effectivement représentés dans le peuple japonais, croisé à l’infini, comme presque tous les autres peuples de la terre. Les éléments humains ont été brassés par les conquêtes, les déplacements, les mille événements de l’histoire comme l’eau de la mer sous la tempête : le développement de l’archipel sur une longueur d’environ 2000 kilomètres du nord au sud, au milieu de mers que parcourent des courants divers, facilite les immigrations d’origines différentes dans la chaîne insulaire.

Un élément spécial bien distinct est celui des Aïno, qui peuplent encore une partie de l’île septentrionale et que l’on sait avoir jadis occupé la grande île centrale, Hondo, jusqu’à la région la plus fertile du pays où s’élève la capitale actuelle ; mais la poussée constante des populations méridionales refoula ces aborigènes vers le détroit de Tsugar. En maints endroits, ils furent exterminés, mais presque partout ils se soumirent sans combat, à cause de l’infériorité de leurs armes et se fondirent peu à peu avec les vainqueurs. On reconnaît dans les provinces du nord le croisement des deux types, et les femmes surtout, l’élément conservateur par excellence, représentent encore la nation disparue, par la forme des traits aplatis, l’abondance et la coupe de la chevelure, la petitesse des yeux, l’épaisseur des lèvres : c’est en elles qu’on verrait le mieux la parenté avec les Eskimaux des Kouriles et des Aléouliennes[1] et avec les tribus chasseresses du continent voisin. D’ailleurs, les Aïno ressemblent aussi à des Européens par la nuance de la peau, blanche sous la couche de crasse, par l’ampleur du front et la capacité de l’encéphale, évaluée à 14170 centimètres cubes en moyenne : par l’intelligence naturelle, ce sont bien les égaux des blancs d’Europe, et la nation japonaise a pu puiser dans ce fond primitif la sève de sa pensée. La plupart des voyageurs sont frappés de l’extrême ressemblance que les Aïno présentent avec les moujiks plus ou moins croisés de la Grande Russie. Le costume, d’étoffes fabriquées en écorce d’arbre, se rapproche aussi beaucoup de

  1. Rimsky-Korsakof ; Savage Landor.