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tement les poissons d’eau douce et à manufacturer ainsi de la chair à volonté pour l’alimentation publique, certes il faudra s’en réjouir, puisque toutes les vies inférieures sont encore employées à sustenter la vie de l’homme ; mais on ne pourra s’empêcher de regretter le temps où tous ces animaux nageaient en liberté. En voyant les cours d’eau régularisés et munis de caisses quadrangulaires où les jeunes poissons s’engraissent et s’habituent à l’esclavage, nos descendants penseront avec une sorte de tristesse à nos ruisseaux encore indomptés. De même que le récit de la vie sauvage dans les forêts vierges nous enchante, de même ils subiront le charme quand on leur parlera de la libre rivière où des bandes errantes ramaient entre le courant en frétillant des nageoires et de la queue, où le poisson solitaire se dardait d’une rive à l’autre comme un rayon à peine entrevu, où des forêts d’herbes flottantes frémissaient incessamment avec la foule cachée qui les peuplait. Comparé au gardien