Page:Reclus - Histoire d’un ruisseau.djvu/224

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ornements de cuir, de laine et de toile cirée, je ne les comprenais que marchant d’un même pas, en colonnes rectangulaires, tambours en tête et officiers en flanc, comme s’ils formaient un immense et étrange animal poussé en avant par je ne sais quelle aveugle volonté. Mais, phénomène bizarre, l’être monstrueux, arrivé sur le bord de l’eau, venait de se fragmenter en groupes épars, en individus distincts ; vêtements rouges et bleus étaient jetés en tas comme de vulgaires hardes, et de tous ces uniformes de sergents, de caporaux, de simples soldats, je voyais sortir des hommes qui se précipitaient dans l’eau avec des cris de joie. Plus d’obéissance passive, plus d’abdication de leur propre personne ; les nageurs, redevenus eux-mêmes pour quelques instants, se dispersaient librement dans le flot : rien ne les distinguait plus des « pékins, » qui s’ébattaient à côté d’eux. Malheureusement, un coup de sifflet se fit entendre, et le triage s’opéra soudain : tandis que nous restions à folâtrer dans l’eau,