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LES GÉNIES.

le rocher. Quelquefois un chasseur, un bandit peut-être, pénétrait dans la caverne et troublait le songe du puissant vieillard. Celui-ci soulevait lentement la tête, faisait une question à l’homme tremblant, puis reprenait son rêve interrompu. « Pas encore ! » soupirait-il. Qu’attendait-il donc pour mourir en paix ? Sans doute, l’écho de quelque grande bataille, l’odeur d’un fleuve de sang humain, un immense égorgement en l’honneur de son empire. Ah ! puisse cette dernière bataille avoir été déjà livrée, et que le sinistre empereur ne soit plus maintenant qu’un monceau de cendres !

Combien plus touchante et plus belle est la légende des trois Suisses qui, eux aussi, attendent leur grand jour dans l’épaisseur d’une haute montagne des vieux cantons ! Ils sont trois comme les trois qui, dans la prairie de Grütli, jurèrent de se faire libres, et tous les trois portent le nom de Tell, comme celui qui renverse le tyran. Eux aussi sommeillent ; ils rêvent ; mais ce n’est pas à la gloire qu’ils songent, c’est à la liberté, non pas à la seule liberté suisse, mais à celle de tous les hom-