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HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

cachait les rochers ; çà et là seulement j’entrevoyais, dans le vague, des masses noires et menaçantes qui, suivant l’épaisseur de la brume, semblaient tour à tour s’éloigner et s’approcher de moi. J’étais transi, triste, maussade. Tout à coup une lueur, reflétée par les innombrables gouttelettes de l’air, me fit lever les yeux. Au-dessus de ma tête, la nue d’eau et de neige s’était déchirée. Le ciel bleu se montrait rayonnant, et là-haut, dans cet azur, apparaissait le front serein de la montagne. Ses neiges, brodées d’arêtes de rochers comme par de fines arabesques, brillaient avec l’éclat de l’argent, et le soleil les bordait d’une ligne d’or. Les contours de la cime étaient purs et précis comme ceux d’une statue se dressant lumineuse dans l’ombre ; mais la pyramide superbe semblait être complètement détachée de la terre. Tranquille et forte, immuable dans son repos, on eût dit qu’elle planait dans le ciel ; elle appartenait à un autre monde que cette lourde planète enveloppée de nuages et de brumes comme de haillons sordides. Dans cette apparition, je crus voir plus que le séjour du bonheur, plus même que l’Olympe,