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HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

voir poindre comme une lueur d’un sentiment humain de respect et d’amitié. Et moi je saluai, avec une sorte de vénération, ce groupe, ce groupe touchant, symbole de l’humanité en marche vers l’avenir.

Laissé à lui-même et ne jouissant que des lumières d’un instinct animal, le crétin peut accomplir quelquefois des choses qui seraient au-dessus de la force d’un homme intelligent et plein de la conscience de sa valeur. Souvent mon compagnon le berger me racontait la chute qu’il avait faite dans une crevasse de glacier, et, quand il en parlait, l’effroi se peignait encore sur sa figure. Il était assis sur un talus, près du bord d’un glacier, lorsqu’une pierre, en s’écroulant, lui fit perdre son équilibre, et, sans qu’il pût se retenir, il glissa dans une fissure béante qui s’ouvrait entre le roc et la masse compacte des glaces ; tout à coup, il se trouva comme au fond d’un puits, apercevant à peine un reflet de la lumière du ciel. Il était étourdi, contusionné, mais ses membres n’étaient point rompus. Poussé par l’instinct de la conservation, il put s’accrocher à la paroi du rocher et monter,