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LE CRÉTIN.

tisfaction, m’accompagna du regard pendant quelque temps, puis s’éloigna tranquillement, heureuse d’avoir fait une bonne action. Moins content qu’elle, je l’avoue, je me sentais humilié dans l’âme. Un être disgracié de la nature, horrible, une sorte de chose sans forme et sans nom, n’avait eu de repos qu’elle ne m’eût tiré d’un mauvais pas ; et moi, l’un de ces hommes fiers, moi qui savais être doué par la nature d’une certaine raison et qui en étais arrivé au sentiment de responsabilité morale, combien de fois n’avais-je pas laissé, sans rien leur dire, d’autres hommes, et même ceux que j’appelais amis, s’engager en des passages bien autrement redoutables qu’un défilé de montagnes ? L’idiote, la goîtreuse, m’avait enseigné le devoir. Ainsi, même dans ce qui me semblait au-dessous de l’humanité, je retrouvais la bienveillance si souvent absente chez ceux qui se disent les grands et les forts. Aucun être n’est assez bas pour tomber au-dessous de l’amour et même du respect. Qui donc a raison, de l’antique Spartiate qui jetait dans un gouffre les enfants mal venus, ou bien de la mère qui, tout en pleurant, allaite et ca-