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HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

côté est le gouffre noir de la tour ; de l’autre est la profondeur lumineuse des rochers et des versants éclairés par le soleil. Le promontoire qui porte le donjon paraît lui-même comme une autre tour de plusieurs centaines de mètres de hauteur, et la rivière qui serpente autour de sa base produit au plus l’effet d’un simple fossé de défense. On raconte que l’un des anciens seigneurs de l’endroit se donnait quelquefois le plaisir de faire sauter ses prisonniers du haut de la terrasse du donjon. Il réservait à ses ennemis les plus détestés la mort lente dans le trou des oubliettes ; mais les captifs contre lesquels il n’avait aucun motif de haine devaient, en s’élançant de la tour, montrer avec quel courage et quelle bonne grâce ils savaient mourir. Le soir, on en causait autour de la table fumante, on riait des contorsions de ceux qui reculaient épouvantés devant l’abîme, on louait ceux qui d’un bond s’étaient d’eux-mêmes lancés dans le vide. Le noble seigneur mourut dans un couvent du voisinage en « odeur de sainteté ».

Au pied de la roche se groupent en désordre les humbles maisonnettes aux toits d’ardoise