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HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

doute ne lui trouvent pas assez d’élégance pour le mettre dans leur blason ; en revanche, mainte peuplade le chérit à cause de ses qualités, et même le chasseur qui le poursuit ne peut se défendre d’une certaine tendresse à son égard. L’Ostiak, après lui avoir donné le coup de grâce et l’avoir étendu sanglant sur la neige, se jette à genoux devant le cadavre pour implorer son pardon : « Je t’ai tué, ô mon Dieu ! mais j’avais faim, ma famille avait faim, et tu es si bon que tu pardonneras mon crime. » Pourtant il ne fait point sur nous l’effet d’un dieu ; mais comme il semble honnête, et candide, et bienveillant ! Comme il paraît bien pratiquer les vertus de famille ! Qu’il est doux à ses petits et que ceux-ci sont gais, et cabrioleurs, et fantasques ! Ces mœurs patriarcales qu’on nous a tant vantées, c’est dans la caverne de l’ours ou dans son énorme nid, confortablement tapissé de mousse, qu’il faut aller les chercher ! Il est vrai que le gros animal donne de temps en temps un coup de croc aux moutons du berger ; mais, d’ordinaire, n’est-il pas la sobriété même ? Il se contente de brouter des feuilles,