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LES FORÊTS ET LES PÂTURAGES.

au temps des avalanches ; elles dénudent le sol, le rabotent jusqu’au rocher, emportant avec elles tous les débris de racines.

L’antique vénération a presque disparu. Jadis, le bûcheron n’abordait qu’avec effroi la forêt de la montagne ; le vent qu’il y entendait gémir était pour lui la voix des dieux ; des êtres surnaturels étaient cachés sous l’écorce, et la sève de l’arbre était en même temps un sang divin. Quand il leur fallait approcher la cognée d’un de ces troncs, ils ne le faisaient qu’en tremblant, « Si tu es un dieu, si tu es une déesse, disait le montagnard des Apennins, si tu es un dieu, pardonne ; » et il récitait dévotement les prières commandées ; mais, après ses génuflexions, était-il bien rassuré, pourtant ?

En brandissant la hache, il voyait les branches s’agiter au-dessus de sa tête ; les rugosités de l’écorce semblaient prendre une expression de colère, s’animer d’un regard terrible ; au premier coup, le bois humide apparaissait comme la chair rosée des nymphes. « Le prêtre a permis sans doute, mais que dira la divinité même ? La hache ne va-t-