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HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

lui jette à la face. Les rafales éloignent et rapprochent l’horizon tour à tour ; tantôt il ne voit autour de lui que la blanche fumée des flocons qui tourbillonnent, tantôt il distingue à droite ou à gauche une cime tranquille qui se dégage de la nuée et le regarde, « sans haine et sans amour », indifférente à son désespoir ; au moins y voit-il comme une sorte de repère qui lui permet de reprendre la course avec un retour d’espérance. Mais en vain : aveuglé, affolé, raidi par le froid, il finit par perdre la volonté ; il tourne sur place et se démène sans but. Enfin, tombé dans quelque gouffre, il regarde avec stupeur passer les tourbillons de l’orage et se laisse gagner peu à peu par le sommeil, précurseur de la mort. Dans quelques mois, lorsque la neige aura été fondue par la chaleur et déblayée par les avalanches, quelque chien de pâtre retrouvera le cadavre et par ses aboiements effrayés appellera son maître.

Autrefois, les débris humains trouvés dans la montagne devaient reposer à jamais à l’endroit où le pasteur les avait découverts. Des pierres étaient entassées sur le corps, et chaque