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HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

à traverser parfois des amas de neige molle, encore mouvante ; tandis que l’un d’eux s’enfonce jusqu’au poitrail, un autre se cabre sur un monceau de neige tassée. La tempête qui siffle autour de leurs oreilles, les cristaux neigeux qui leur entrent dans les yeux et dans les naseaux, les jurements brutaux des cochers, les irritent et menacent de les affoler. Le traîneau cahote sur l’étroit chemin, penche tantôt vers la paroi de la montagne, tantôt vers le précipice : car le gouffre est là, on en rase le bord, on le suit au loin en perspectives immenses, comme si, en tombant, on devait descendre jusque dans un autre monde. Le cocher a laissé le fouet, il ne tient plus qu’un couteau dans les mains, prêt à couper les rênes, si les chevaux, éperdus de frayeur ou glissant d’un talus de neige, venaient à rouler tout à coup dans le précipice.

Terrible est la situation du malheureux piéton lorsque, en traversant lentement les neiges, il est tout à coup surpris par une tourmente. D’en bas, les gens des plaines admirent à leur aise le météore. La cime du mont, fouettée par le vent, semble fumer comme un