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LE BROUILLARD ET L’ORAGE.

trer quelque sentier sauveur ; mais, dans le vague des choses, rien ne peut servir d’indice et tout paraît un obstacle. D’un côté la terre fuit ; on croirait être au bord d’un précipice. De l’autre côté se dresse un roc ; la paroi en semble inaccessible. Pour éviter l’abîme, on tente d’escalader la roche abrupte ; on met le pied dans une anfractuosité de la pierre et l’on se hisse de saillie en saillie ; bientôt on est comme suspendu entre le ciel et la terre. Enfin, on atteint l’arête ; mais, derrière le premier roc, voici que s’en dresse un autre au profil indécis et mouvant. Les arbres, les broussailles qui croissent sur les escarpements dardent leurs rameaux à travers la brume, d’une façon menaçante ; parfois même, on ne voit qu’une masse noirâtre serpentant dans l’ombre grise : c’est une branche dont le tronc reste invisible. On a le visage baigné par une fine pluie ; les touffes de gazon, les bruyères, sont autant de réservoirs d’eau glacée où l’on se mouille comme à la traversée d’un lac. Les membres se raidissent ; le pas devient incertain ; on risque de glisser sur l’herbe ou sur le roc humide et de rouler dans le précipice.