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GÉOGRAPHIE.

rebord de trois talus, l’un qui plonge sur la rivière d’Ain, l’autre sur le val du Rhône, le troisième sur la rive gauche de la Saône. Autrefois, quand les forêts l’habillaient, elle fut saine évidemment, et depuis 1853 elle le redevient ; mais pendant de longs siècles 19 000 à 20 000 hectares d’étangs en firent un humide hôpital caché dans les brouillards ; il y a vingt-cinq ans à peine, on ne vivait en moyenne qu’un quart de siècle dans cette patrie des fébricitants, et ce quart de siècle n’était que malaise, accès, scrofules et douleurs. Dans 21 villages, il y avait 147 morts pour 400 naissances. L’homme de la Dombes, « lourd, long, lent, lâche, » méritait plus que son voisin du nord les quatre l infligées au Bressan.

Ces étangs, ombragés parfois par les arbres des buttes qu’on appelle des « poipes », et presque tous faits de main d’homme, dataient des siècles les plus religieux du moyen âge, de l’époque des couvents nombreux et des jeûnes rigides qui faisaient le poisson presque aussi nécessaire que le blé ; ils étaient aussi l’œuvre de la guerre : elle dépeuplait ce sol d’argile au point qu’il n’avait plus assez d’hommes pour diriger ses traînants ruisseaux, et ceux-ci, peu à peu, s’assemblaient en étangs. Alors on aida la nature dans cette œuvre de mort ; les gens de la Dombes barrèrent tout ce qui pouvait être barré ; ce fut leur manière de féconder ces terres froides et compactes : deux ans ou plus sous l’eau ; puis, l’étang vidé pour en prendre le poisson, un an de culture sur le sol exondé. En moyenne, sur 19 215 hectares d’étangs, 12 000 étaient couverts d’eau, 8 000 découverts.

Depuis 1853, on y a tracé 364 kilomètres de routes et un chemin de fer, on y a mêlé du calcaire au sol, on y a curé des ruisseaux, nettoyé des cuvettes malsaines qui, devenues champs, bois ou prairies, n’enfièvrent plus l’air de la contrée : 10 000 à 11 000 hectares d’eau croupie ont disparu. Le sang du pécheur d’étangs charriait la faiblesse, la mort avant l’âge, celui du laboureur roulera l’ardeur et la force. La vie moyenne a passé de vingt-cinq à