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GÉOGRAPHIE.

Le Berbère, lui, travaille bravement, et partout, et toujours. Ni rêveur, ni poète, c’est un homme de labour, de métiers, un épargneur, un avare. Sa race emplit les cités et les champs du Tell : métayers et moissonneurs, colporteurs, ouvriers, ces émigrants gagnent peu, mais de privation en privation ils font fortune au milieu des Roumis, si c’est battre monnaie qu’acquérir le prix d’un champ, d’une vache ; alors ils reviennent pour la plupart au village natal où la propriété est fortement constituée, et qu’administrent des djémas ou municipalités élues au suffrage de tous, communes orageuses que divisent des sofs ou partis éternellement en lutte.

Par cette émigration continue et par ce retour d’un grand nombre, la langue nationale se répand avec rapidité dans les diverses Kabvylies, et déjà la plupart des villages berbères ont parmi leurs citoyens quelques hommes parlant aussi bien le français que le vieil idiome témachek. Religion à part, ces premiers tenanciers, à nous connus, du Tell ne détestent qu’à demi l’étranger qui remplit leur bourse à la ville, et menace peu leurs vergers dans la montagne. Plus assimilables que les Arabes, ils n’ont pas comme eux de vastes champs déserts où nous puissions semer des colons ; chez eux pas un pouce du sol ne se perd, et plusieurs de leurs âpres montagnes ont, à surface égale, plus d’habitants que nos collines. Mais s’il nous est impossible de zébrer leur territoire de villages nouveaux, taches qui peu à peu couvriront les terrains arabes, nous les cernons de plus en plus en colonisant les vallées, et bientôt les Kabylies seront séparées les unes des autres par des plaines françaises. Alors ce sera l’histoire des faisceaux, qui tous ensemble ne plient pas sous la main d’un hercule, et qui, séparés, se rompent sous les doigts d’un enfant. D’ailleurs il suffira que notre langue tue leur langue pour qu’ils passent dans le camp des conquérants de la dernière heure, après avoir lutté pendant vingt-cinq à trente siècles contre les Carthaginois, les Romains, les Vandales, les Arabes, les Turcs. Les Ber-