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GÉOGRAPHIE.

pitale de l’Algérie, par-dessus les collines qui séparent la Métidja du val de l’Isser Oriental, au delà du Bou-Zegza (1 032 mètres) dont les flancs sont arides, on voit le Jurjura flotter au loin vers l’orient, flancs bleus et tête blanche, dans l’azur d’un éther tranquille.

Si, du côté du sud, il tombe avec raideur et parfois presque à pic, de 1 500 à 2 000 mètres de haut, sur le val du Sahel, au nord il s’éparpille en chaînons qui vont mourir sur la rive gauche du Sébaou, tandis que sur la rive droite se lèvent aussitôt des montagnes moyennes, formant le Sahel ou Littoral de Dellis à Bougie. Ces chaînons, des plis profonds, des déchirures immenses, le val du Sébaou, les monts côtiers, des forêts de cèdres, de chênes zéens, de chênes-lièges, de chênes à feuilles de châtaigniers, des bois d’oliviers, telle est la Grande Kabylie.

On y admire des acifs et des igzers[1] qui ne tarissent point, des cascades qui ne se taisent jamais, des vergers, des villages aux tuiles rouges sur des pics et des pentes, des gouffres où l’on n’entend que le torrent, où l’on ne voit que l’abîme, des roches d’où l’on contemple mille autres roches, et des monts et des neiges et des vallées et la mer. C’est là domaine d’un peuple si fier que les seuls Français l’ont courbé ; encore le voyons-nous souvent regimber contre l’aiguillon.

Cette nation est aussi dure au travail que passionnée pour la liberté ; elle a tellement profité de ses monts plaqués de neige entre novembre et mai, de ses pitons si droits, qu’on ne sait comment les villages y tiennent sans glisser ; elle a si bien cultivé ses versants perpendiculaires, ses ravins que les torrents ébrèchent, les rives alluvionnaires de son petit fleuve et son étroit littoral arrêté par des tamgouts qui semblent près de tomber dans la mer, que la Grande-Kabylie nourrit 275 000 hommes sur 366 000 hectares : soit 75 personnes par 100 hectares. Soixante-huit de nos départements sont relativement

  1. Ces mots berbères signifient rivière et ruisseau.