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ALGÉRIE.

Alger la Sultane, nous n’avions ni l’espoir, ni même le désir de nous répandre au loin jusqu’au Désert, jusqu’au pays de Tunis et jusqu’au Maroc, dans toute la grande contrée montagneuse et prodigieusement inviable qui obéissait de fait où de nom à la ville du Dey. Même on eut en haut lieu la triomphante idée d’offrir ce littoral à toutes les puissances de l’Occident : Oran à l’Espagne ; Arzeu à l’Angleterre, notre « généreuse amie », qui nous menaçait de la guerre si la flotte de Toulon levait l’ancre ; Ténès au Portugal ; Bougie à la Sardaigne ; Stora aux Napolitains ; Bône à l’Autriche ; la France n’aurait gardé qu’Alger.

Mais, d’abord malgré nous, puis le voulant bien, nous marchâmes en avant.

Ce fut une guerre opiniâtre, à fortunes diverses, dix-sept longues années de fer et de feu. L’incendie s’éteignit en 1847, mais il couva longtemps encore, même il couve toujours : qu’un vent subit éparpille la cendre, comme en 1870-1871, et du brasier arabe ou kabyle s’élanceront des fusées rouges, sinon l’élément qui dévore. Musulmans sabrés, percés, enfumés, mitraillés ; Français troués dans la bataille, décapités ou mutilés dans les surprises ou les retraites ; moissons brûlées, oliviers ou dattiers coupés devant des gourbis en flammes ; le sirocco, la neige, la rosée nocturne ; les marches et contre-marches, les assauts, les razzias ; les oueds sans eau, les maquis, les palmiers, le Tell et le Sahara, l’Atlas, le Jurjura, l’Aurès, l’Ouaransénis, ce fut une mêlée antique, homme contre homme et couteau contre couteau, et non pas une de ces batailles modernes où l’on est tué de loin, par le boulet et la balle, par le destin plus que par l’ennemi. Des deux côtés on fut brave ; mais le Jugurtha de cette autre Guerre Numide, l’Arabe Abd-el-Kader, pauvre et suivi d’une foule sans lien, pouvait-il vaincre les Français disciplinés, du maréchal périgourdin Bugeaud ?

Staouéli, Alger, le Mouzaïa, Béni-Méred, Constantine,