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FRANCE.

du grec à l’arabe ou du celtique au chinois ; de même chair, de même sang que le français, ce sera pour eux la mue plutôt que la mort. Ou si l’on tient à l’idée de trépas, ils s’en iront sans secousse, non comme le jeune homme qui se cramponne à l’être, mais comme le vieillard qui s’éteint, n’y songeant point, n’y croyant pas, sans râle, sans soubresauts, sans hoquets convulsifs. Et dans le siècle qui s’approche, on montrera du doigt le dernier vieux ou la dernière vieille dont la chanson « limousine » aura bercé l’enfance, sur une Alpe, sur une Pyrénée, sur une pelouse des Monédières, un ségalas du Rouergue, un causse du Gévaudan, une chéire d’Auvergne : on ne sait où, dans un des 12 000 villages de l’Occitanie, quelque part entre la tiède brise de la Corniche et la psalmodie des pins de la Gascogne, entre le Montcalm d’où les neiges s’écroulent et Saint-Benoît-du-Sault où des torrents babillent[1].

Pourquoi tracer sur le beau sol de France, de l’est à l’ouest, une ligne infiniment sinueuse au nord de la laquelle règne la langue sans rhythme d’oil, tandis qu’au midi vibre la langue rhythmée d’oc ? Ce qui fut n’est plus et la langue du Sud ne rassemblera point ses tronçons : gascon, béarnais, agénais, toulousain, catalan, provençal, dauphinois, savoisien, cévenol, auvergnat, limousin, périgourdin, cadurque, tous ces rameaux de l’ancien arbre d’oc sont maintenant flétris ; ils se dessèchent : parce que les racines vont mourir.

Voilà bientôt sept cents ans que la nation d’oc reçut la blessure mortelle. C’est dans la vaste campagne de Toulouse, près de Muret, en vue des Pyrénées, sur un grand chemin de la France, qu’un homme du Septentrion, Simon de Montfort, terrassa les hommes du Midi, tant Languedociens qu’Aragonais (1213). Depuis ce jour de deuil pour la belle Occitanie, nul baron ne refit le pouvoir des comtes de Toulouse, nul dialecte, ni le

  1. L’auteur de ce livre est un Français de l’ex-langue d’oc.