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FRANCE.

portait la pâleur de la mort. Qui donc oserait aujourd’hui, même en terroir d’Agen, prédire une immortalité d’un siècle au gai patois du pays des prunes ?

En Limousin, en Auvergne, en Languedoc, en Gascogne, aucun chantre d’oc ne s’est cru le précurseur d’un destin nouveau, le résurrecteur d’un peuple mort. Chacun d’eux pensant n’être que le chansonnier de sa rue, de son faubourg, de sa ville, ou tout au plus de son bout de province, aucun n’a déclaré la guerre à la langue de la patrie[1]. Les « félibres » du bas Rhône ont été moins modestes. Quelques fusées de gloire tirées à Paris et non pas en Provence les ont éblouis ; les Alpines, le Lubéron, le Ventoux, leur ont caché la puissance du Nord : prenant à la lettre le mot de « provençal » sous lequel on range maintenant tous les jargons qui sont le démembrement de la vieille Occitanie, ils n’ont pas vu que leur patois, tel que l’ont fait des siècles de soumission au français, est l’un des plus petits de toute la France et des plus menacés parce qu’il est sur le premier grand chemin de notre pays, sur la route de Paris à Marseille ; ils ont parlé bruyamment d’un peuple provenço-catalan ; ils ont dit que vingt-cinq ou trente départements aspirent à secouer le joug du verbe de Paris. Or, dans tous ces départements-là, sauf près d’Avignon, de Tarascon, de Saint-Remy, nul n’a le moindre souci du provençal des félibres ; leur prose et leurs vers sont colossalement indifférents aux hommes des autres patois, aux gens de Confolens, de Ribérac, d’Arcachon, de Bayonne, d’Auch, d’Agen, de Rodez, de Montpellier, et même de Nîmes, ville déjà presque française dont le parler n’est pas celui d’Avignon, de Tarascon, d’Arles, pourtant si voisines. Les félibres n’ont pas compris le dilemme qui les étreignait : « Ou vous introniserez le

  1. Sauf Jasmin, qui a dit : « Pour moi la petite patrie est bien avant la grande. Fidèle à sa mère, le peuple sera toujours gascon, jamais franciman ! ».