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GÉOGRAPHIE.

de deux pays plus jeunes que le nôtre, l’Afrique du Nord, âgée de cinquante ans, et le Canada, qui n’a pas encore trois siècles.

Les mêmes dix années donnent à la langue anglaise, déjà deux fois plus parlée que la nôtre, au moins quinze millions d’anglophones ;

À la langue russe, dix millions de russophones

Aux deux langues sœurs de l’Ibérie, huit à dix millions de castillanophones ou de lusitanophones.

48 millions d’hommes, c’est à peu près le trentième des mortels, puisqu’on estime la race effrontée de Japet à quatorze ou quinze cent millions d’êtres. Il ne faut pas trop descendre au-dessous de cet humble trentième ; il serait bon que la francophonie doublât ou triplât pendant que décupleront certaines hétéroglotties : car l’humanité qui vient se souciera peu des beaux idiomes, des littératures superbes, des droits historiques ; elle n’aura d’attention que pour les langues très parlées, et par cela même très utiles.

Ce sont là tous nos vœux, et dores et déjà nous renonçons pour notre chère et claire langue à son ancienne hégémonie. Nous ne la regrettons même pas.

Le cosmopolitisme, c’est l’indifférence, et l’indifférence est la mort. Le Gallois qui défend son celte contre l’Anglais, le Hongrois qu’assiègent l’Allemand et le Slave, le Roumain perdu comme le Magyar dans un océan de langues ennemies, le Finlandais que les Suédois ont cessé d’envahir, mais qui redoute les Russes dévorants, ses voisins et ses maîtres, le Franco-Canadien menacé de submersion par la marée des Anglais, tous ces petits peuples aiment passionnément leur langue, ils vivent d’elle, en elle et pour elle ; tandis que l’idiome universel, si jamais le malheur des temps nous l’amène, restera sans autels et sans adorateurs.

À la royauté du français nous devons la moitié de notre colossale ignorance. Tous les hommes instruits de la Terre savent au moins deux idiomes, le leur et le