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GÉOGRAPHIE.

et va traverser le Rhône entre Sion et Louèche : tous les Vaudois, tous les Génevois, tous les Neuchâtelois, 70 000 à 75 000 Bernois dans ce que l’on nomme le Jura de Berne, près des trois quarts des Fribourgeois, plus des deux tiers des Valaisans nous appartiennent.

Dans les hautes vallées piémontaises descendant sur Ivrée et sur Turin : vallée d’Aoste, val de Cogne, val Tournanche, vallée de Suze, vaux de Bardonnèche, d’Oulx et de Pragelas, vallées vaudoises de Saint-Martin, d’Augrogne et de Luzerne. En somme, il y a 135 000 à 140 000 personnes de langue française sur le versant italien des Alpes, du Mont-Rose au Viso, mais la parole de Dante y gagne peu à peu sur celle de Hugo.

Dans l’Asie, le français se répand en Indo-Chine depuis la conquête de la Cochinchine et le protectorat du Cambodge, mais ni la Cochinchine ni le Cambodge ne sont des colonies dans le sens profond de ce mot : les maîtres ne s’y établissent pas en cultivateurs, en colons, mais seulement en soldats, en trafiquants, en administrateurs ; de telle sorte qu’il s’y forme une aristocratie de commerçants, d’industriels, de fonctionnaires, clan peu nombreux qui garde sa langue, mais ne saurait l’imposer, qui même la perd à la longue, ne laissant d’autres témoins de sa domination passagère que des métis fondus dans la masse du peuple. On a vu des Noirs, des Rouges, adopter l’idiome de conquérants non colonisateurs, mais c’étaient des tribus enfantines, sans cohésion, sans patriotisme, sans histoire, sans arts, sans littérature. Les Cochinchinois, eux, ont des traditions, une langue écrite, un fanatisme, et ils s’appuient sur 500 millions de frères, les Chinois, qui parlent un idiome semblable au leur. Nos 1 350 000 Cochinchinois, nos 900 000 Cambodgiens n’auront sans doute jamais le français pour verbe national ; ce sera plutôt le chinois. De même, les 265 000 habitants de nos comptoirs de l’Inde resteront longtemps ou toujours fidèles à leurs vieilles langues aryennes ou dravidiennes.