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GÉOGRAPHIE.

un pays ni froid ni chaud, ni sec ni pluvieux, ni brumeux ni étincelant, sur de gais coteaux où mûrissent encore les premiers des vins.

Longtemps les Français ont eu la stupidité de se proclamer le premier peuple du monde. Ils faisaient comme les autres peuples : l’Anglais est orgueilleux de sa nation jusqu’à l’emportement ; l’Allemand se donne depuis cent ans toutes les vertus modestes et toutes les vertus viriles ; le Slave se décerne l’hégémonie de l’avenir ; l’Espagnol n’a pas un regard pour le reste des humains ; le Portugais a vaincu les « vainqueurs des vainqueurs de la Terre » ; l’Arabe a courbé le monde et ne désespère pas de le courber encore ; le Chinois habite le Milieu ; les Hottentots se donnent trois noms : Hommes des hommes, Premiers des hommes, Vrais hommes ; le Nègre a son fétiche, le Grec sa « grande idée », l’Italien sa « destinée manifeste ». Tous les peuples, grands ou petits, les plus misérables tribus elles-mêmes, ont la sotte faiblesse, puérilité chez les uns, sénilité chez les autres, de se croire la « race élue, la nation sainte, le peuple acquis ». Chaque ville a, comme Marseille, sa Cannebière, qu’elle croit incomparable. Que de cités font de leur Manzanarès un Amazone, de leur halle un Parthénon, de leur rimeur un Homère !

Ne caressons plus ces vains fantômes ! Paris n’est pas la cité mère, la ville antérieure, l’Alpha et l’Oméga, le commencement et la fin, le but des choses, la balance de justice et l’éternel flambeau ; la France n’est point le peuple-lumière, la sainte martyre, la race marquée, l’exemple du monde. Les flatteurs qui nous le disaient, les courtisans qui nous le disent encore, sont les pires ennemis de leur peuple, et malheur aux hommes qui ne vomiront pas avec dégoût le poison de ces honteuses paroles ! Mieux vaut cent fois le Teuton qui s’enroue à nous injurier depuis deux générations d’hommes : il nous appelle famille de singes, tribu grimacière, nation de coiffeurs, race décriée, risée des hommes, rôdeurs de