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FRANCE.

fortune, ce qui charme intimement la gent montagnarde. L’Italien, homme rusé, pratique, est attiré par Marseille, par Lyon, par Paris, et il y reste. L’Espagnol passe les Pyrénées avec un vaste mépris pour une terre qui n’est ni Léon, ni Castille, ni l’Aragon, ni l’Andalousie ; mais une fois chez les Gabachos, ainsi qu’il nous appelle, ouvrier, terrassier, exilé politique, déserteur, homme fuyant la justice pour un coup de navaja[1] malheureux, il se fait aux Français et ne revoit pas toujours l’Espagne.

D’après le recensement de 1876, il y a parmi nous, en nombres ronds, plus de 800 000 Étrangers, savoir : 375 000 Belges, 165 000 Italiens, 62 000 Espagnols, 59 000 Allemands, 50 000 Suisses, 30 000 Anglais, 10 000 Polonais, etc. Tout cela fait 217 étrangers sur 10 000 habitants de la France. Le Nord, les Bouches-du-Rhône, les Ardennes, la Seine, le Var, les Alpes-Maritimes, sont les départements les plus chargés d’Étrangers. Le Centre et l’Ouest en ont encore très peu, mais de proche en proche, par le va-et-vient qui est la respiration d’un pays, le sang des divers peuples s’infiltre dans toute la nation française.

Mais ici deux forces interviennent, qui sont toujours agissantes : la fusion d’abord ; puis le milieu, dans les limites de sa puissance (car il ne se fait rien de grand qu’avec le secours des siècles). Au-dessus de toutes les différences entre les Français du Nord et du Sud, de l’Est et de l’Ouest, entre le laboureur de l’alluvion et le pasteur de la montagne, entre le sylvicole et l’habitant des pays nus, entre les gens du Centre et les hommes assez heureux pour voir tous les jours la mer, plane l’ensemble de laideurs et de beautés, de défauts, de médiocrités et de talents qui compose notre type, national. Le Français, malgré tout, a sa physionomie parmi les peuples, et cette figure il semble la tenir de deux causes : la prépondérance du sang gaulois, l’agrément, la facilité de la vie dans

  1. Le navaja est un grand couteau pointu.