Le mistral[1], qui tord rageusement l’olivier vers le sud-est, est un souffle exécrable. Les Provençaux disaient : « le Mistral, le Parlement et la Durance sont les trois fléaux de la Provence. » Un fléau, c’est trop dire : car ce vent féroce, haïssable, haï, chasse les effluves, les miasmes, les ferments, les odeurs impures ; grâce à lui l’on ne meurt pas autant qu’on mourrait sur les bords d’étangs, dans les « paluns, » dans les lieux arrosés, en Camargue, et dans mainte et mainte ville mal tenue sous ce traître soleil.
Sa force est incroyable, et sa persistance inouïe ; il peut même arrêter des trains ; c’est le « Borée noir » de Strabon : le « Mélamboréas[2], dit-il, est un vent violent, terrible, qui roule des pierres, précipite les hommes de leurs chars, broie leurs membres et les dépouille de leurs vêtements et de leurs armes. » Son nom veut dire le maître, et en effet il règne dans le ciel comme sur la terre ; il déchire lugubrement les airs, il courbe ou tord ou casse les arbres, il agite éperdument les branches, il éparpille les eaux, il soulève, brise et disperse les spirales de la poussière, il entre par les portes closes, il fait frissonner sous le manteau ; et quand on le rencontre à l’improviste au repli d’un vallon, à la sortie d’une demeure, au détour d’une rue, il faut raidir tous ses muscles contre lui. Des oliviers, des bois, des herbes, des vignes, des cailloux, des murs de pierre sèche, des plaines comme de la garrigue ou du mont, de toute la nature il tire une voix qui gémit. Quand il souffle, c’est parfois pour des semaines, pendant le jour clair et la nuit pâle et blanche (car, poussant violemment les vapeurs vers la mer, il n’amène avec lui ni la tempête ni la pluie fine sur le sol d’entre Mézenc et Méditerranée). Descendant des monts cévenols avec acharnement, par rafales continues ou par