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GÉOGRAPHIE.

ténébreux sous les terres sèches, cassées, arides, que parent les forêts de la Braconne et du Bois-Blanc. La France doit avoir ici sa grotte de Han, sa caverne d’Adelsberg, sa Mammouth-Cave, des voûtes immenses, des couloirs dont on touche de la main les deux parois, des précipices, des cascades, des eaux luisant obscurément sous quelques rayons égarés. Des animaux inconnus, des batraciens, des poissons aveugles y vivent peut-être sur la rive de styx que n’a pas encore éclairés la lueur des flambeaux humains. On trouvera bien une entrée de gouffre, un corridor, une fissure, une avenue dans la roche pour conduire à ces sombres merveilles. Il y a dans la forêt de la Braconne des fosses qu’on dit descendre sur des eaux souterraines : telles la Fosse Limousine, pleine de grands arbres ; la Grande Fosse, qui a 50 mètres de profondeur ; la Fosse Mobile, qui s’ouvre par un portail dans le roc, puis descend presque à pic dans des obscurités inconnues : la pierre qu’on y lance y réveille des échos étouffés, puis il semble qu’elle plonge dans l’eau.

Touvre, à 7 ou 8 kilomètres à l’orient d’Angoulême, est un village de fort peu de maisons avec une petite église du treizième siècle, humble et vieille, au pied d’un grand arbre qu’on voit de toutes les collines de l’horizon. À quelques pas de l’église, dans une vigne, des lambeaux de murs et des pierres dispersées rappellent encore un manoir du seizième siècle : on le nomme château de Ravaillac, mais l’assassin d’Henri IV n’y à point vécu et ne l’a point possédé.

Au pied même de ces ruines informes, dans un pli de coteau, ravine étroite entre des flancs caillouteux, un gouffre, le Dormant, sommeille. Profonde de 24 mètres, son onde pure est sombre par cette profondeur même et parce que sa colline lui cache une partie de la lumière du jour ; quand le soleil y luit, ses rayons n’éclairent pas jusqu’au fond le froid palais des nymphes de la Touvre et l’on ne voit point comment les entrailles de la roche