Page:Reclus - France, Algérie et colonies, 1886.djvu/23

Cette page a été validée par deux contributeurs.
20
GÉOGRAPHIE.

teau persécuté des vents que dans les gorges, au pied des roches immenses qui dérobent aux hameaux la moitié de la lumière que leur doit le soleil. De leurs enfants, beaucoup descendent dans la plaine qui ne remonteront jamais au village paternel, mais il en reste assez dans les montagnes pour y arroser les prairies et pour y défendre les passages. Ce fut un monticole, un Arverne, Vercingétorix, qui disputa le dernier la Gaule à César ; cinq cents ans après, ce fut encore le peuple arverne, devenu gallo-romain, qui résista le dernier aux Barbares. Et puisque la France doit finir, ceux qui garderont le plus longtemps l’héritage de sa langue seront des hommes de l’Auvergne, des Cévennes, du Rouergue, du Limousin, des Pyrénées ou des Alpes, nés dans des vallées perdues où l’on ne parle encore que le patois.

Sous nos yeux Paris est envahi par les Auvergnats, les Limousins, les Marchois, les Cévenols, les Savoyards, les Dauphinois, les Pyrénéens, maçons, terrassiers, porteurs d’eau, ramoneurs, commissionnaires, gens de tous les métiers. Appelés ou venus d’eux-mêmes, grands ou petits, fluets ou trapus, noirauds, blancs ou rouges, tous ces hommes d’en-haut, ceux du moins que l’art ou la science ou les livres n’attirent pas à Lutèce, adorent avec ferveur le plus bas idéal, l’argent. C’est pour lui qu’ils viennent souffrir la veille et le jeûne, affronter l’hôpital et quelquefois s’étendre sur les dalles de la Morgue.

Ce n’est pas seulement à Paris que descend cette foule inquiète, éternel renouvellement de la grande cité. Il n’y a ville de France, fût-elle des plus minces, qui n’ait son Auvergnat marchant lourdement et robustement à la fortune.