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GÉOGRAPHIE.

les levées ne peuvent enfermer tout ce déluge : les digues deviennent des crêtes de cascade, elles se ravinent, elles fendent et les campagnes sont lamentablement éventrées. On n’a point encore oublié le désastre de 1856, les digues rompues à 73 brèches, les villes cernées, les plaines triturées, la vallée de Beaufort, qui était habituée à un ruisseau paisible, envahie tout à coup par un fleuve exaspéré, les ardoisières de Trélazé comblées par un Niagara fangeux, quand il avait fallu tant d’années et tant d’hommes pour creuser leurs cavernes dans le schiste des coteaux angevins.

À sa sortie des gorges du saut de Pinay, au-dessus de Roanne, à l’issue d’un bassin de 640 000 hectares seulement, la Loire peut entraîner 7 290 mètres cubes par seconde, c’est-à-dire mille quarante fois son étiage. À cette débâcle, quatre fois plus terrible que la Seine à Paris dans la crue de 1876, il faut ajouter l’avalanche qu’amène l’Allier ; or, ce frère de la Loire vient d’aussi loin qu’elle, dans un bassin non moins vaste et non moins imperméable ; mais, par bonheur, on voit rarement les deux grands torrents jumeaux arriver avec la même fureur au Bec d’Allier ; pour diverses raisons, leurs crues ne concordent pas entièrement.

Au-dessous du Bec d’Allier, la Loire en débordement croît peu ou point : les moyennes et grandes rivières d’aval, Cher, Indre, Vienne, Maine, Thouet, Sèvre Nantaise, ne montent jamais au maximum en même temps que les torrents d’amont ; puis chaque brèche des levées étale au loin pour sa part la crue sur la vallée ; et d’autre part l’excès des eaux va se perdre dans des espèces de bras latéraux indépendants de la Loire en étiage, anastomosés avec elle en inondation. Sur la rive droite, c’est la Cisse et l’Authion, rivières de coteau qui ne s’appartiennent plus qu’à demi lorsqu’elles sont entrées dans la vallée du fleuve, qu’elles suivent parallèlement ; sur la rive gauche, ce sont les branches du bas Cher et de l’Indre inférieure, puis le réseau de bras cou-