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FRANCE.

superbes, et quand la crue passe, elle menace l’œuvre de vingt générations dont il lui arrive même parfois de troubler les sépulcres[1].

Jadis la Loire avait de vastes étendues à couvrir de flots turbides avant d’injurier les cultures, les jardins, les maisons de sa vallée. En lits vivants ou morts, en flaques, en îles, en longs bancs de sable, en terres vagues, en berges variables, elle avait, par exemple, sept kilomètres de largeur devant Jargeau, et trois et demi devant Orléans, ville où l’on a cru la museler dans un canal de 250 mètres. L’homme de la Loire ressemble à tous les paysans du monde sublunaire : il a fait comme le Sicilien qui s’empare de la lave à peine refroidie du volcan, à deux pas du cratère prêt à vomir encore les entrailles enflammées du mont. Dans le partage qu’il méditait entre sa plaine et son fleuve, il a lésé la Loire, et la Loire se venge.

L’homme de l’Orléanais, de la Touraine, de l’Anjou a donc entrepris d’enchaîner la Loire. Partout où le fleuve n’est pas naturellement contenu par des berges ou des collines, il a construit des levées : d’abord jusqu’à 3 ou 4 mètres de hauteur, puis sous Louis XIV, Louis XV et Louis XVI, jusqu’à 7 mètres. Ces digues, supérieures au niveau des crues moyennes, empêchent le plus souvent l’eau de divaguer sur la vallée ; mais, en forçant les sables à rester dans le fleuve au lieu d’aller se perdre sur les champs latéraux, elles exhaussent lentement le fond de la Loire. Il faudrait relever les digues à mesure ; or, celles-ci ne peuvent monter indéfiniment au-dessus de la plaine.

Devant Orléans, Blois, Tours, dans son lit tel que l’homme l’a voulu réduire, passent assez aisément 6 500 mètres cubes par seconde, mais les crues en amènent 8 000, 10 000, peut-être 12 000. Il vient un moment où

  1. C’est ainsi qu’en 1856 elle a fouillé les ossements du cimetière de la Chapelle-sur-Loire (Indre-et-Loire).