Page:Reclus - France, Algérie et colonies, 1886.djvu/196

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
193
FRANCE.

y a mille ans, quand disparurent les terres qui portaient la forêt nommée Scisciacum nemus par les vieux documents. À marée haute, on en voit cinquante, dont quinze, n’étant pas absolument roche pure, ont quelque terre et un peu d’herbe ; à marée basse elles sont plus de trois cents : non pas des îles à vrai dire, mais des îlots et des écueils où le flot laisse, en s’en allant, des fucus.

Les îles Chausey sont françaises, ce que n’est plus le bel archipel qui surgit à leur nord-ouest, les îles Anglo-Normandes, appartenant à l’Angleterre malgré leur voisinage du Cotentin, malgré l’origine normande et le patois normand de leurs insulaires, au moins de ceux des campagnes, car l’anglais est de plus en plus parlé dans les villes. Ces îles, six à sept fois plus peuplées en moyenne que la France, ont 90 000 habitants sur moins de 20 000 hectares. Elles sont séparées du continent (dont elles ont fait partie) par le Raz Blanchard, le Passage de la Déroute, l’Entrée de la Déroute : ce sont là des détroits où la coquille de noix que nous nommons navire bataille contre des vents enragés et des courants de 16 kilomètres à l’heure, sur des bancs et des roches, antique assise d’un sol qui porta des champs et des hommes. Les îles anglo-normandes, que les Anglais appellent Îles du Canal, c’est-à-dire de la Manche, sont quatre : Jersey fait à elle seule les trois cinquièmes de l’archipel, en étendue comme en population ; Guernesey en fait juste le tiers. Aurigny, à 45 kilomètres à peine du cap de la Hague, est l’Alderney des Anglais ; Serek est un rocher d’aspect terrible, d’abord périlleux. Alderney, Guernesey, Jersey, Chausey, ces quatre noms se terminent par ey, mot scandinave qui veut dire île : il est possible que Jersey signifie l’île de César, et probable que Guernesey répond à Île-Verte[1].

  1. On disait autrefois Grenesey, qu’il est facile de prendre pour une corruption de Grœnsey, Île-Verte. Dans ce même idiome scandinave, Grœnland veut dire Terre-Verte, comme on sait ; et pourtant c’est un pays de frimas éternels.